De l’espoir à l’arnaque : les tests Microbiotes en libre accès

Une étude de la Société Française de Microbiologie publiée dans la revue internationale Gut démontre l’inutilité des analyses de microbiote intestinal proposées par certains laboratoires français. Les résultats de ces analyses, non reproductibles et fondées sur des interprétations discutables, peuvent induire les patients en erreur et les détourner de traitements médicaux validés. Il est urgent que les autorités réglementent ces pratiques.

Le groupe de travail MicMaC (Microbiome et Métagenomique Clinique) de la Société Française de Microbiologie (SFM) publie cette semaine dans la prestigieuse revue britannique Gut une étude démontrant l’inutilité et les dérives des analyses du microbiote intestinal proposées sur internet par des laboratoires français à l’usage des patients en (auto-) prescription.

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Le microbiote intestinal est l’ensemble des microorganismes (bactéries, virus, champignons et parasites) hébergés dans nos intestins, analysable en séquençant l’ADN de ces microorganismes présents dans un simple échantillon de selles. Grace à la démocratisation récente des techniques de séquençage à haut débit et à la diminution de leurs coûts, les études sur le microbiote se sont multipliées démontrant le lien entre diversité du microbiote et santé, suggérant un lien entre un déséquilibre de ce microbiote (dysbiose) et certaines maladies (asthme, allergies, obésité, maladies inflammatoires du tube digestif, autisme, …). Ces découvertes sont porteuses d’espoir pour de nombreuses personnes dans l’attente d’un diagnostic et d’un traitement à leurs souffrance.

Malgré les mises en garde de plusieurs sociétés savantes dont la SFM (tribune du Monde du 4 octobre 2021) alertant sur l’inutilité d’une analyse individuelle du microbiote, des laboratoires français continuent de proposer des analyses de microbiote en libre accès sur internet, des médecins prescrivent ces analyses non remboursées à leurs patients, de nombreux patients recourent à ces analyses en auto-prescription, le tout en l’absence de toute validation scientifique et médicale de ces tests. Ces pratiques cultivent l’ambiguïté entre avancées de la recherche scientifique et tests soi-disant diagnostiques. À la manière des tests génétiques proposés en libre accès sur internet, des « tests microbiote » sont aujourd’hui accessibles pour quelques centaines d’euros. La mise à disposition de ces tests microbiote brûle les étapes les faisant passer directement d’un outil de recherche à un test d’analyse médicales sans valider les critères d’un test diagnostic fiable.

L’objectif cette étude nationale française publiée dans Gut a été de démontrer l’hétérogénéité des résultats et donc leur inutilité et les dérives entourant la réalisation des tests microbiotes par des laboratoires français à destination des patients ou de leur médecin.

Les auteurs ont « fabriqué » une selle en mélangeant les selles de 3 personnes faisant partie d’une étude de prise en charge de l’infarctus à la phase aiguë. Ils ont envoyé par la poste en suivant les indications des laboratoires la même quantité de cette selle mélangée à 5 laboratoires après avoir rempli un long formulaire de santé en ligne, avoir autorisé les laboratoires à utiliser leurs résultats pour des études (sans considération éthique) et bien sûr payés en ligne sans remboursement entre 150€ et 250€.

Quatre à 8 semaines après l’envoi, les résultats parviennent au patient/client sous forme d’un rapport parfois épais (9 à 36 pages), dense et complexe, dont l’absence de personnalisation laisse suspecter par ses formulations d’avoir été généré IA à partir des résultats bruts du séquençage et d’une base de données bibliographiques non vérifiée. Les résultats de l’analyse de cette même selle par 5 laboratoires ne sont pas superposables entre eux. Citons, par exemple l’index mesurant la diversité des espèces bactériennes détectées par séquençage variant du simple au double selon les laboratoires. Les espèces microbiennes majoritaires ne sont pas les mêmes et certains laboratoires diagnostiquent une dysbiose alors que d’autre non. « C’est du grand n’importe quoi » réagissent les experts de la SFM!

Semblant automatisées, les interprétations de ces résultats sont étayées par des analyses peu fiables de publications de qualité souvent médiocres et peu nombreuses. Il en ressort des conseils diététiques et thérapeutiques très discutables et souvent contradictoires.

Plusieurs (2/5) concluent à un profil de microbiote avec des propriétés protectrices des pathologies cardiovasculaires (pour rappel, la selle testée provenait de patients ayant fait un infarctus quelques heures auparavant). On craint à la vue de ces conseils non étayés et de ses conclusions manifestement erronées que les clients de ces laboratoires se sentent faussement rassurés ou inquiétés et n’abandonnent un traitement ou un conseil diététique de leur médecin pourtant basé sur des recommandations médicales avérées.

Dans la grande majorité de ces rapports, l’incitation à contacter un spécialiste (médical ou non), un naturopathe ou un diététicien, qui pour une somme importante et non remboursée (400 à 500€ annoncés) proposera une prise en charge personnalisée après interprétation des résultats fournis. On touche du doigt les connexions de ces laboratoires avec le business des thérapeutiques alternatives. Le risque de détourner des malades de traitements validés et vitaux pour certains (chimiothérapies, insulinothérapies, corticothérapie ou traitements psychiatriques) est souvent associé au risque pour ces patients en souffrance d’être rançonné par des pratique proche du charlatanisme, proposant diagnostics non fiables et traitements non évalués.

Les preuves qu’apporte cette publication démontrent qu’il est temps pour les autorités sanitaires de faire le ménage dans ces pratiques inutiles, sans éthique et potentiellement dangereuses pour des personnes fragiles se faisant escroquer par des collègues peu scrupuleux, probablement motivés uniquement par l’appât du gain.

Contact : secretariat@sfm-microbiologie.org

La Société Française de Microbiologie rappelle :

  • Qu’un test biologique doit avoir pour objectif principal d’apporter au médecin des informations fiables et utiles à la prise en charge des patients selon des recommandations établies ;
  • Que de nombreux travaux sont nécessaires avant de pouvoir transformer ces tests microbiotes en véritables analyses de biologie médicale ;
  • Qu’il est nécessaire que des études sur de larges cohortes (malades et témoins) soient réalisées avant de pouvoir valider et proposer ces tests. Ceux-ci seront, dans tous les cas, des analyses spécifiques à une pathologie et prescrites pour une question clinique définie ou orientée ;
  • Qu’en l’état actuel des connaissances il n’est pas recommandé d’utiliser ces tests à titre individuel pour les patients, au risque de susciter de faux espoirs, oi, pis, d’orienter sur des pistes thérapeutiques non adaptées et potentiellement nocives.

La Société Française de Microbiologie souligne son intérêt fort pour toutes les initiatives de recherche qui permettront, dans le futur, de consolider la place des « tests microbiote » dans le diagnostic des patients.

La Société française de microbiologie (SFM) est une société savante fondée en 1937, spécialisée dans la microbiologie. Elle a pour vocation de rassembler les microbiologistes de France et des pays francophones, travaillant dans divers domaines tels que la microbiologie médicale, industrielle, environnementale, ainsi que dans des domaines comme la physiologie, la génétique, la taxonomie, l’hygiène, et les agents antimicrobiens. Elle compte en 2025 plus de 1700 adhérents.

La SFM publie plusieurs références scientifiques, dont des ouvrages et des revues spécialisées. Elle est affiliée à plusieurs organisations internationales et représente la France dans ses domaines de compétence auprès de diverses instances, telles que l’Union internationale des sociétés de microbiologie (IUMS) et la Fédération européenne des sociétés de microbiologie (FEMS).

Tribune parue dans Le Monde le 4 octobre 2023
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