La dernière épidémie de variole en France métropolitaine : Vannes, hiver 1954-1955
D’après la présentation du Pr Vincent Jarlier
Introduction
L’hiver 1954-1955 marque l’un des derniers grands épisodes de variole en France métropolitaine. À Vannes, préfecture du Morbihan comptant alors environ 28 000 habitants, une épidémie inattendue de cette maladie pourtant considérée comme disparue depuis près de vingt ans survient au cœur d’un hôpital de province.
Le mouvement des troupes revenant d’Indochine, la faible couverture vaccinale dans la population civile et un retard diagnostique vont favoriser une propagation brutale mais brève.
L’épisode se soldera par 98 cas et 20 décès, mobilisant les autorités sanitaires nationales et donnant lieu à une vaste campagne de vaccination.

- Contexte sanitaire et militaire
Depuis 1902, la vaccination antivariolique était obligatoire chez l’enfant mais peu appliquée en dehors des forces armées. Les années 1950 voient plusieurs cas importés depuis les colonies, principalement sous des formes atténuées.
La présence à Vannes de plusieurs régiments de l’armée française, dont des unités revenant d’Indochine, constitue un élément de risque supplémentaire. L’automne 1954 avait d’ailleurs été marqué par une épidémie de variole en Indochine (377 cas, 56 décès).
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Le cas index : une contamination silencieuse
Le 7 décembre 1954, un enfant de 18 mois, Daniel, est hospitalisé pour une éruption fébrile. Aucun médecin ne songe alors à la variole : son père, militaire, était vacciné. Pourtant, celui-ci revenait tout juste d’Indochine, où il avait été hospitalisé à Saïgon, puis à l’hôpital Percy à Paris, avant de rejoindre sa famille.
Bien que vacciné, il développe une forme fruste de variole, non diagnostiquée, et contamine son fils. L’incubation de l’enfant s’avère compatible avec la période où le militaire a séjourné à Vannes.
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Extension de l’épidémie : l’hôpital au cœur de la crise
Entre le 20 décembre et le 3 janvier, plusieurs cas d’« éruptions » apparaissent chez :
- le personnel du service de pédiatrie,
- des enfants récemment hospitalisés,
- des proches de ces patients.
La situation dégénère rapidement : six nouveaux cas apparaissent simultanément le 31 décembre. Les médecins colonels consultés, anciens d’Indochine, évoquent finalement la variole.
Le 3 janvier 1955, l’Institut Pasteur confirme le diagnostic par microscopie électronique.
Le Dr Georges Cadoret, chef du service de pédiatrie, enclenche alors les premières mesures d’urgence : isolement des services, interdiction des visites, recensement des contacts.
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La réaction : une mobilisation sanitaire exemplaire
L’intervention du Dr Guy Grosse, médecin inspecteur de la DDAS, sera décisive. En quelques jours :
- collecte de tous les vaccins disponibles à Vannes,
- commandes urgentes à Paris, Tours et Montpellier,
- vaccination du personnel hospitalier,
- déclaration officielle de l’épidémie au Ministère de la Santé,
- mise sous surveillance des sujets contacts.
Le 6 janvier 1955 commence une campagne massive : 250 000 habitants du Morbihan sont vaccinés, soit près de la moitié de la population du département.
À partir du 19 janvier, les nouveaux cas diminuent fortement. L’immunité vaccinale, acquise en 11 jours, joue alors pleinement son rôle.

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Diffusion hors de l’hôpital et prolongements
Avant les mesures de confinement, la maladie s’était déjà propagée :
- plusieurs communes du Morbihan sont touchées,
- l’hôpital Bodélio de Lorient est momentanément consigné,
- une seconde petite flambée survient à l’hospice de Vannes en février.
Un cas transféré à Brest provoque une épidémie limitée dans deux établissements (hospice Ponchelet et hôpital Morvan), rapidement maîtrisée grâce à la vaccination.
La fin officielle est déclarée le 11 mai 1955.
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Bilan humain
Sur 98 cas, 20 décès sont enregistrés :
- 16 à Vannes,
- 4 à Brest.
Les enfants sont particulièrement touchés : parmi les 18 cas âgés de moins de 10 ans (dont 15 non vaccinés), on compte 5 décès, dont 3 nourrissons.
Le corps médical paie un lourd tribut : 6 médecins contractent la maladie, et le Dr Guy Grosse succombe à une forme hémorragique le 25 janvier 1955. Il sera cité à l’Ordre de la Nation et fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume.
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Médiatisation et mémoire de l’événement
L’épidémie fait la une des médias régionaux, provoquant une forte demande de vaccination et un mouvement de panique relatif en Bretagne.
Les magazines Radar (23 janvier 1955) et Paris Match (5–12 février 1955) consacrent plusieurs pages à l’événement.
En 2005, une commémoration locale rend hommage aux soignants impliqués. L’infirmière Valentine, qui avait soigné le petit Daniel, témoigne alors. Le Dr Morat, premier médecin à avoir vu l’enfant, revoit Daniel cinquante ans après.

Conclusion
L’épidémie de Vannes constitue un épisode charnière dans l’histoire de la santé publique française. Malgré un début chaotique, la mobilisation rapide et massive des autorités sanitaires permit de contrôler en quelques semaines une maladie hautement contagieuse.
Elle rappelle l’importance :
- de la vaccination,
- de la surveillance épidémiologique,
- de la reconnaissance précoce des maladies émergentes ou réémergentes.
Ce fut la dernière grande épidémie de variole en France métropolitaine, dix ans avant l’éradication mondiale du virus par l’OMS.